Attraper la bonne asperge

October 1, 2021

By Agathe Nolla / Artwork by Erin Sass


Peut-être bien que nous serions tous encore dans un monde merveilleux si Ève et Adam n’avaient pas consommé ce fameux fruit défendu du jardin d’Eden. Après avoir soulagé leurs  chaleurs insoutenables, le couple fondateur se couvre les parties génitales avec des feuilles de vigne. Et voici que depuis la Genèse, nous bouffons, nous buvons et nous baisons.

La langue française compte de nombreux idiotismes gastronomiques qui servent de métaphores aux sujets tabous ou interdits. Ce besoin de codifier des termes sexuels ou des insultes vient d’abord de la régulation des institutions comme l’État, l’académie ou l’Église, ce que Michel Foucault appelle une “mise en discours” quasi officielle. De là, s’opère un phénomène d’épuration du vocabulaire qui mène à des restrictions mais aussi des codifications comme l’apparition de nombreux idiotismes ou autres métaphores. On distingue alors deux types d’encodages: les idiotismes, des locutions qui empruntent le vocabulaire alimentaire comme métaphore, et les “minced oath” ou formes édulcorées (sur la traduction de ‘minced oath’). 

Pour guise d’exemple, à partir de 1895, on utilise familièrement le mot purée pour remplacer ‘putain’ davantage chez les plus jeunes ou les plus polis. Dans ce cas il n’y a pas de métaphore, seule la proximité sonore est mise en avant, c’est donc un minced oath. D’autre part, l’expression “tremper son biscuit” qui fait référence à la pénétration est une métaphore ou euphémisme assez évident. Le pénis se substitue au biscuit, venant de leurs formes similaires dans certains cas, qui est trempé dans la tasse de lait matinale, représentant l’éjaculation dans le sexe de la femme. 

« Le lien entre l’alimentaire et le sexuel se fait presque inconsciemment, d’abord puisqu’il mime la relation hétéronormée entre l’homme et la femme en construisant un rapport similaire entre le mangeur et le mangé mais aussi à travers une série de points communs. »

Cette codification a lieu notamment entre des locuteurs où le rapport social n’autorise pas d’aborder certains sujets. Pour éviter le silence absolu, on établit des expressions subtiles et discrètes, notamment dans les relations enfants et parents ou enseignants et élèves. Parmi les notes générales, nous remarquons que les idiotismes gastronomiques se créent soit à travers une similarité visuelle soit par les liens entre les rapports sociaux du couple et l’équilibre de pouvoir des ustensiles, aliments, ou animaux. Pour illustrer, les aubergines ou les asperges se rapprochent visiblement du sexe masculin, tout comme les bonbons, historiquement sphériques, s’apparentent à des testicules. De l’autre côté, l’utilisation de lexique de charcuterie pour désigner le pénis ou la pénétration (saucisse, lard, os à moelle, Weenie ou meat en anglais) contre celui du coquillage ou animal à coquille pour indiquer celui de la femme (con, schnecke, moule) est une claire projection du rapport de forces prédatrices proies. Ainsi, l’homme et son pénis sont souvent représentés par des animaux forts, grands, larges et dangereux alors que le vagin féminin est plutôt de préférence par des petits animaux, impuissants et sans défense. 

Le lien entre l’alimentaire et le sexuel se fait presque inconsciemment, d’abord puisqu’il mime la relation hétéronormée entre l’homme et la femme en construisant un rapport similaire entre le mangeur et le mangé mais aussi à travers une série de points communs. En plus d’être deux domaines qui touchent à l’intime, l’instinct de survie mêle également nourriture et copulation: l’un pour survivre dans l’immédiat et l’autre pour faire perdurer notre espèce. Les deux domaines sont fatalement liés: voilà pourquoi nous confondons si souvent le langage culinaire avec les petits sextos du soir. 

« Ce besoin de codifier des termes sexuels ou des insultes vient d’abord de la régulation des institutions comme l’État, l’académie ou l’Église, ce que Michel Foucault appelle une “mise en discours” quasi officielle. »

D’autre part, les excès de nourriture comme de sexe sont critiqués dans de nombreuses cultures, et ainsi on retrouve le même vocabulaire de honte, de restrictions, de culpabilité et de maladies. Dans les sept péchés capitaux de l’Église catholique, on retrouve la gloutonnerie ou la gourmandise ainsi que la luxure. Pour le premier, Saint Thomas d’Aquin dicte, au XIIIe siècle, la façon correcte de se nourrir sans tomber dans la gourmandise: il ne faut manger que dans la tempérance, sans excès ni insuffisance, sans impatience ni cherté, dessous tout sans y prendre trop de plaisir. Similairement, la luxure est tout acte sexuel qui soit interdit (adultère, sodomie, extramarital) ou dans l’excès, autrement dit, quelconque coït qui n’ait pas pour but la grossesse. 

Certaines marques de pâtisseries profitent de la liaison entre le sexe et la cuisine pour vendre leur produit. Par exemple, comme l’entreprise La Belle Epoque qui vend depuis 1995 la zézette de Sète -pâtisserie occitane algérienne- joue sur la forme phallique des biscuits et le mot enfantin zézette qui désigne le sexe du garçon. A Montréal, en avril 2021, la boulangerie Zizi Pop a ouvert ses portes. Elle propose une variété de gaufres sucrées et salées en forme de pénis. On peut commander des gaufres aux noms osés (Sugar Daddy ou encore Big Banana) complémentées de pâtes à tartiner, vermicelles et coulis qui rappellent visuellement le liquide séminal. La gaufrerie Marbello Gaufres et Délices, elle, propose des gaufres-pancakes sous la forme de vulve et suit le même principe que Zizi pop avec ses “Foufounes” auxquelles s’ajoutent des biscuits, glaces, coulis et autres. Voilà l’exemple de certaines marques qui tire profit de la relation symbiotique entre le sexe et l’alimentation. Continuez à prendre du plaisir en mangeant et en couchant tout en faisant attention à attraper la bonne asperge au bon moment.

50 thoughts on “Attraper la bonne asperge”

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